Pour célébrer leur «déménagement» à l’Alhambra et au Temple de la Madeleine, les Athénéennes ont l’honneur de se placer sous l’égide bienveillante – ou plutôt sous le violon – de Sainte Cécile, la patronne des musiciens.
Mais une Sainte Cécile moderne qui, tout en se pomponnant, médite sur le paysage musical de ce début de XXIè siècle. Elle y découvre une immense diversité, et s’étonne des catégories qui tentent d’en rendre compte.
Car les hommes ont besoin de catégories pour s’orienter dans leur rapport aux objets. Dans le meilleur des cas, une catégorie étaye le sens: lui donne des repères stables, une référence éprouvée, dont il a besoin pour assurer son renouvellement, son dynamisme.
Dans le pire, la catégorie impose au sens une délimitation restrictive, floue, voire contradictoire. Elle peut devenir alors un agent de réduction, et pervertir l’appréhension de l’objet, quand son rôle devrait se borner à tenter modestement de le cercler.
Par nature, l’objet musical est rebelle à pareil étiquetage. Ne dit-on pas d’une œuvre marquante qu’elle est «intemporelle» et «actuelle», quelle que soit l’époque de sa création? Nul paradoxe dans l’association de ces deux termes: la musique, l’art du son et du temps, est tout à la fois vibration vivante et miroir historique offert au sens.
Quoi qu’il en soit, Sainte Cécile constate que les grandes catégories que le XXè siècle s’est données pour tenter de «classer» ses objets musicaux posent problème; si leur rôle sociologique saute aux yeux, leur pertinence artistique est beaucoup moins évidente.
Que veut dire l’appellation «Musique classique»? Le classicisme dans la tradition musicale occidentale désigne la période de la fin du XVIIIè siècle. Mais l’acception courante de «musique classique» ne correspond à rien de précis sur le plan de l’histoire et de l’esthétique.
Et le terme «Jazz»? Depuis ses origines afro-américaines, ce courant s’est à ce point diversifié, élargi, métissé, puisant à de multiples sources d’influence, qu’il est devenu impossible de lui donner une définition satisfaisante.
Qu’une musique écrite dans les années 1940 puisse être qualifiée de «contemporaine» semble n’étonner personne.
À une époque où certaines nations tentent de porter un regard critique sur leur passé colonial, la catégorie occidento-centriste «Musique du monde» ne devrait-elle pas prêter à sourire?
Parmi ces étiquettes, «Musiques actuelles» est la dernière venue. Comme les autres, elle ne parvient à spécifier précisément ce qu’elle désigne, mais surtout, elle est disqualifiante: toute musique non estampillée comme telle serait «inactuelle».
Bref, «Les Athénéennes» aiment bousculer les étiquettes.
Persuadés que des liens sont à tisser entre les musiques dites «classique», «jazz» et «contemporaine», qu’une musique écrite il y a plusieurs siècles peut être actuelle et que toutes les musiques sont des musiques du monde, nous avons composé une programmation 2017 plus athénéenne que jamais: intemporelle comme le violon de Sainte Cécile, actuelle comme son mascara.
1er juin
En ouverture du festival, deux œuvres majeures de la musique de chambre: le Quatuor à cordes de Ravel et le Quintette avec piano de Dvorak, avec des interprètes de premier plan: le raffiné Quatuor Modigliani et le brillant pianiste et compositeur Jean-Frédéric Neuburger.
L’Amazing Keystone Big Band revient aux Athénéennes avec un nouveau répertoire écrit en hommage au grand Django Reinhardt, dans des arrangements tout à la fois subtils et irrésistiblement fougueux.
La revue de Pierre Omer est un voyage vers les années «swing», spectacle éclectique et mélodramatique, où se succèdent perles de gypsy swing et de Jive, et réminiscences des bas-fonds de Harlem et de Congo Square…
2 juin
«Lettres intimes» est le sous-titre que Janacek a donné à son second Quatuor, en hommage à son égérie, Kamila Stösslova, femme mariée, de près de quarante ans sa cadette, et qui influença fortement son œuvre durant les dernières années de sa vie. Le jeune Quatuor Voce interprète avec une grande intensité ces pages passionnées, ainsi que le premier Quatuor de Bartók, œuvre d’un modernisme aux fulgurances toujours actuelles.
Pour célébrer son dixième anniversaire, le trio de Marc Perrenoud convie deux amis musiciens à se joindre à lui: la chanteuse albanaise Elina Duni et le trompettiste David Enhco. Une rencontre musicale inédite autour du jazz puissant et novateur du pianiste genevois.
La soirée se poursuit festivement au son des platines
de Lea Polhammer et Jean-Alexandre Blanchet.
3 juin
Une soirée audacieuse qui confronte Baroque éclectique et Rock électrique. L‘Ensemble «Le Harmoniche Sfere» propose un voyage au sein de la France de la première partie du XVIIIè siècle.
Il jouera sur instruments d’époque des musiques hautement raffinées, et trop méconnues.
Les virtuoses Yannick Barman et Cyril Regamey sont des explorateurs hors pair des friches artistiques. Kiku s’associe à l’immense Blixa Bargeld, connu pour avoir longuement collaboré avec Nick Cave. Un spectacle en forme de concert rock qui réunira guitare, batterie, chansons et projections, et la voix de Black Craker. Une plongée dans un univers surréaliste et étrangement narratif.
Aeroflot: une paire de copilotes chevronnés est aux commandes manuelles pour une electronica douce et planante augmentée d’une voix aérienne et hypnotique.
Pour les infatigables, la fête se poursuit à l’Abri, à deux pas de l’Alhambra, jusqu’au petit matin.
5 juin
La venue à Genève de Sergei Babayan constitue un événement exceptionnel. Le grand pianiste arménien délivre une lecture des Variations Goldberg de Bach prodigieuse de limpidité et de ferveur.
6 juin
Deux chefs-d’œuvre résonneront dans le cadre serein du Temple de la Madeleine. L’un reconnu: le merveilleux Quintette à cordes de Schubert, l’autre méconnu: la seconde Sonate pour violon et piano de Fauré. Moins jouée que la première Sonate, cette œuvre est pourtant une des pages les plus personnelles et bouleversantes du compositeur français. Des jeunes musiciens de grand talent seront les interprètes de ce sublime programme: le sensible Quatuor Cavatine; le prodige du violoncelle Edgar Moreau; les très fauréens Pierre Fouchenneret et Simon Zaoui.
En seconde partie, ciné-concert: CLIM8 est un documentaire expérimental sur les changements climatiques, fruit d’une collaboration entre le musicien Arnaud Sponar, une marionnettiste et deux vidéastes new-yorkais. Le moyen métrage se déroule en quatre volets: l’air, l’eau, les changements et une «brûlure» finale.
7 juin
Le pianiste lyonnais Wilhelm Latchoumia propose un récital tout à la fois ludique et poétique, qui confronte très grand et très petit pianos.
Ciné-concert, encore: en entrée, trois courts-métrages dadaïstes illustrés en musique par les sons électriques et oniriques de Pol, et le piano improvisé de Valentin Peiry.
Plat de résistance: «Three Ages», film attachant de Buster Keaton qui explore l’intemporalité de l’amour au prisme de trois époques historiques. Chacune des trois parties est confiée à un pianiste improvisateur. Trois âges, trois styles: un jeu de passe-passe excitant auquel se prêteront David Marteau, Lucas Buclin et Pierre Mancinelli.
8 juin
Deux œuvres phares du XXè siècle seront interprétées par le Lemanic Modern Ensemble, sous la direction de William Blank: Les Folk Songs de Berio, avec la voix chaleureuse de Clémentine Margaine, et Vortex Temporum de Grisey, avec Cédric Pescia au piano. Grand écart esthétique entre le folklore imaginaire du compositeur italien et la musique fascinante d’un des inventeurs du spectralisme, dans laquelle le temps se distend progressivement et finit par se suspendre.
Nourri de soufisme, de chant liturgique et d’électro-jazz, le célèbre oudiste Dhafer Youssef choisit de faire de sa voix un instrument qui, au gré de rencontres et de complicités musicales, se situe à la croisée du lyrisme oriental et du jazz contemporain. En concert, ses aigus stupéfiants, ses mélodies et ses sons hallucinants déploient une musique d’une grande luminosité.
Et en troisième partie de soirée, on dansera sur les rythmes étourdissants de DJ Garance.
9 juin
Soirée fastueuse pour clore le festival: la rencontre entre les pianistes David Fray et Audrey Vigoureux, accompagnés par l’Orchestre de Chambre de Genève, dans une interprétation inédite des concertos à deux claviers de Bach. Un concert hautement jubilatoire en perspective.
Découvert aux côtés d’Avishai Cohen, Shai Maestro est un titan de technique et de polyvalence. Il n’est jamais aussi créatif et convaincant que quand il joue ses compositions au sein de son propre trio et profite de l’entente avec Jorge Roeder et Ziv Ravitz pour emmener son jeu vers les extrêmes, de la restriction minimaliste à la dissonance ou l’exubérance percussive.
Le duo «Qoniak» marie des sons de machines analogiques à des trames rythmiques ingénieuses pour former une musique improvisée urbaine dans laquelle éléments de groove et expériences sonores atmosphériques envoûtent le public.
La fête de clôture aura lieu à l’Abri, ultime occasion pour les festivaliers de se retrouver et de danser jusqu’au bout de la nuit.